jeudi 30 juin 2011

Découvrez... "La vieille" !!

Voici donc l'un des deux projets Mot @ Mots, intitulé : "La vieille"!

Ont participé à ce projet, par ordre d'apparition :

- Ingrid (auteure)
- Anne (auteure)
- Xavière (illustratrice)

- Catibou (auteure)
- Beatrix (auteure)
- Yoann (illustrateur)

- martine (auteure)
- La tricoteuse (auteure)
- Aurore (illustratrice)

- La baronnette (auteure)
- Régine (auteure)
- Lise (illustratrice)

- baptistine (auteure)
- Christine (auteure)
- Emilie Fiala (illustratrice)

- Isa (auteure)
- Sylvie Albou (auteure)
- Madame prope (illustratrice)

- Alexandra (aueure)
- Stéphanie (auteure)
- Kurios (illustrateur)

- Littleboxes (auteure)
- Lydia (auteure)
- barbara Rothen (illustratrice)

- Christelle (auteure)
- Sandrine (auteure)
- Emilie dedieu (illustratrice)

- Allana (auteure)
- Harue (auteure)
- Loren bes (illustrateur)

- Valérie (auteure)
- Lily Anne (auteure)
- harue (illustratrice)

- Couverture par Cocotte en papier

Vous êtes prêts ?? C'est parti !!


"Tous les dimanches, c'est la même histoire.
Zoé doit mettre sa robe à rubans, moi ce costume trop petit avec une cravate qui m'étouffe.
On doit surtout bien sourire, montrer ces fossettes qu'elle aime tant pincer, ne pas trop bouger et articuler docilement à la queue leu leu "oui stp, merci beaucoup mémé, non merci mémé".
Papa et maman hochent la tête mais n'haussent jamais le ton. Pas besoin, on doit être de parfaits petits anges devant mémé !
Zoé, elle en a une peur bleue.
Avec ses dents marrons, son chignon rouge et l'horrible sifflement qui sort de sa bouche, on a surtout pas envie de se retrouver seuls dans le noir avec elle ! (oui parce que je l'avoue, moi aussi j'avais la trouille...).
Et un dimanche pluvieux, voilà que maman nous annonce qu'on va passer la journée chez mémé... tous seuls ! Panique à bord ! Zoé retient ses larmes, je cherche mes armes.
Et si je prends mon globe terrestre pour l'assommer au cas où elle nous emprisonne ?
Ou alors je peux prendre une brosse à dents, prête à se jeter dans sa bouche moisie ?
C'est le cœur battant que je serre fort la main de Zoé au moment de toquer à la porte de mémé.

La chose faite, la porte reste close et coite. Je recommence. Plus fort. La vieille est sourde comme un pot. Zoé me regarde. Je la regarde. Que faire ? Et si elle n'était plus là ? Partie sans prévenir... ou pire... Je n'ai pas le temps d'achever ma pensée. Des bruits déferlent dans nos oreilles. Un bruit qui glisse, un bruit qui souffle, un bruit qui ferraille. La porte s'ouvre sur mémé. 
Zoé docile bégaye un « Bonjour mémé » pas convaincu. Moi j'embraye un « Salut » que j'espère plus vigoureux. Elle... rien. Elle fait la moue. Genre vachement contente de nous voir. Genre presqu'autant que nous de la voir. Ça nous fait au moins un point commun.
- Bon, ben, rentrez puisque vous êtes là !
Sa voix, rauque, nous tombe dessus comme un avertissement. Je tire ma sœur, qui n'a pas lâché ma main, à l'intérieur. La porte claque dans notre dos. Le son sec et lourd me fait frissonner. Plantée dans le hall, les mains sur ses hanches, la vieille nous examine. De la tête aux pieds.
- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de vous ?
On bronche pas. Accablés par sa présence détestable, par son aspect repoussant, par son ton cassant. Soudain, un drôle de sourire, une sorte de fente biscornue déchire son visage anguleux.
- Ah si ! J'ai une idée ! Allez suivez-moi !

Je n’ai pas encore parlé de sa canne en bois, courbée au niveau de la poignée et dont elle ne se sépare jamais. Je sens son anse froide et visqueuse comme un serpent passer autour de mon cou. Elle l’utilise surtout pour nous attraper ma sœur et moi et nous attirer à elle ! Dans le couloir froid et sombre, elle opère un demi-tour laborieux et nous voilà partis, elle toujours glissant, toujours soufflant, toujours ferraillant, vers la cuisine tout au fond. Que dis-je ? Une cuisine, ça ? Une antre plutôt, crasseuse, puante, mal éclairée. Sur l’évier une pile de vaisselle sale, sur la table, une montagne de légumes,  par terre une épaisse couche de saleté. Elle me tire à l’intérieur puis ôte enfin sa maudite canne de mon cou.
- Voilà de quoi vous occuper un moment : un lavage, deux épluchage, trois balayage.
Elle traverse la cuisine passe par la grande porte ouverte qui mène au salon, rejoint, toute couinante, son fauteuil, s’y laisse tomber, le sourire mauvais :
- Et pas d’ bruit, c’est l’heure d’mon feuill’ton ! J’vous surveille….
Le coup du ménage, elle l’avait jamais fait devant nos parents. Zoé ne peut plus retenir ses larmes qui coulent silencieusement sur ses joues. Je les essuie d’un revers de main et lui dépose un gros baiser sur la tête. J’ouvre le robinet et Zoé attrape le torchon, on attaque la vaisselle !

- Berk !dit Zoé en lorgnant un petit pois à l'air accablé flottant au milieu d'un amas graisseux. La bonde de l'évier émet un glouglou horrible quand je referme le robinet, interloqué. J'essaye en vain de ranger la pile de vaisselle propre pour l'installer sur une étagère mais, par mégarde, je renverse quelques flacons qui semblent bien étranges. Le plancher craque et les fenêtres grincent. On dirait  que toute la maison gémit. Nos cheveux se dressent sur la tête !
- « Fenouil puant », « Herbe à verrue », « Queues de lézards » dit Zoé en lisant les étiquettes à voix basse et elle poursuit « Poudre de larves » «  Pâte molle  » et ma sœur écarquille grand les yeux.
- Surtout n'y touche pas Zoé ! Je ne comprends pas pourquoi Maman veut que nous venions ici.
- Parce qu'elle est seule et qu'il n'y a plus d'enfant autour d'elle répond ma gentille petite sœur. Nos parents viennent de nous abandonner, Zoé et moi. Maman va profiter de sa journée avec Papa et nous...un horrible pressentiment me vient à l'esprit et si Mémé était une...Mais soudain un formidable bruit de locomotive venant de la pièce d'à côté nous fait sursauter tous les deux : c'est Mémé qui ronfle très fort et semble profondément endormie. Victoire ! Nous allons enfin être tranquilles et pouvoir explorer sa vieille maison comme nous avons si souvent projeté de le faire ! A ma grande surprise, je viens de découvrir un escalier en bois. Je suppose qu'il doit mener au grenier.



Je pose le pied sur la première marche et celle-ci se met à craquer horriblement. On dirait que la maison est vivante. Vite je tends l’oreille guettant un bruit, un mouvement du côté de grand-mère. Ouf ! Rien. Elle ne s’est pas réveillée. Je continue mon ascension suivie de près par Zoé. Inutile de vous dire que nous montons l’escalier sur la pointe des pieds. Evitant le plus possible de faire grincer les marches. Tout à coup, ma petite sœur pousse un petit cri et se retient au bas de ma veste. Elle vient de se prendre les pieds dans la queue de son lapin qui lui sert de doudou. Pfiouh ! Je la retiens juste à temps. Un peu plus et elle tombait à la renverse dans l’escalier. Ce qui aurait certainement réveillé grand-mère. Je n’ose même pas l’imaginer en colère. Ce doit être horrible…
Enfin, nous arrivons devant une vieille porte en bois toute sculptée de visages de vieilles femmes. Je pose la main sur la poignée…Zoé me dit – Non, n’ouvre pas ! j’ai trop peur ! – Trop tard, la porte couine et nous fait découvrir une pièce sombre seulement éclairée par  la lumière qui filtre entre les ardoises du toit. De vieilles bassines en cuivre servent à recueillir l’eau de pluie lorsque le temps est orageux. J’ose m’avancer dans la pièce et là j’aperçois de vieux masques grimaçants peints de couleurs sombres. Certains sont ornés de grandes plumes et d’autres de paille. Soudain, je sens que l’on tire sur ma manche. C’est Zoé qui me montre du doigt un vieux balai.

N'allez pas vous imaginez le genre de balais en plastique rose qu'on trouve au supermarché du coin. Non, celui-là est plutôt du genre de ceux qu'on trouve dans les contes de fées. Le manche est fait d'une vieille branche tortueuse surplombée d'une tête de vieille. Inutile de dire quoi que ce soit. Je vois bien au regard que me lance Zoé qu'elle pense à la même chose que moi. C'est le portrait tout craché de mémé.  Une force irrésistible attire mes mains vers le balai. « Non, crie Zoé ! » Trop tard, le balai est là entre mes mains. Mais en bas, l'escalier grince. « Mémé est réveillée, souffle Zoé qui tremble de tous ses membres, elle nous cherche !» Déjà la voix de mémé résonne dans l'escalier : « Zoé, Thomas, je sais que vous êtes là, mes chéris, montrez-vous donc ! » Nous nous réfugions derrière un épais rideau qui cache la fenêtre du grenier. La voix de mémé se rapproche : « Zoé, Thomas, voyons les enfants, ne faîtes-pas les sots, montrez-vous ! » La porte s'ouvre, mémé est en rage à présent : « Sortez immédiatement de là !» Sans réfléchir, Zoé ouvre la fenêtre et monte sur le toit. Je la suis. L'œil rivé sur mémé à la fenêtre, nous reculons.
- « Ne faîtes-pas ça, crie mémé, revenez immédiatement !
- Il faut rentrer, me dit Zoé, nous risquons de glisser ! »
A ce moment-là, je regarde mon balai, une confiance absolue m'envahit. Je sais qu'il peut voler.


Mon pied droit trébuche sur une ardoise branlante. Par réflexe, je serre le balai comme pour m’y accrocher. Zoé bredouille soudain : « Le ba…balai. » Elle montre du doigt l’objet. Je sais très bien que c’est un balai ! Mais elle insiste. Incroyable, Il est en lévitation à 30 centimètres au-dessus du toit, il n’est retenu par rien. Surpris, je le lâche. Immédiatement le balai retombe inanimé sur les ardoises et se met à rouler, rouler. Il termine sa course dans la gouttière. Soudain, Mémé remonte sa jupe jusqu’au-dessus des genoux et s’apprête à escalader la fenêtre. Elle essaye bien avec sa canne d’attraper un bout de la robe de Zoé mais sans succès. Elle râle, siffle, crache. Oh ! Qu’elle est laide ! Avant que Mémé ne passe la fenêtre, je décide de tenter le tout pour le tout. « Tu as confiance en moi Zoé ? » Ses joues sont rosies par le sel de ses larmes mais sans hésiter elle me dit que oui. Je lui prends la main, on s’accroupit et nous glissons sur les fesses jusqu’à la gouttière. J’attrape le vieux balai. Je me redresse doucement en évitant d’écouter la voix cruelle de Mémé qui crie à présent. J’ai les genoux qui jouent des castagnettes ! Je glisse le manche entre les jambes de Zoé et les miennes. Je sens le balai trembler, sursauter, se soulever. Zoé à ses bras serrés autour de ma taille. Je ferme les yeux et pense très fort : « Allez vole ! Par pitié : vole ! ». Et tout à coup Pfffffft ! C’est incroyable, extraordinaire. Personne ne me croira à l’école ! Je vole ! Nous volons !

Mémé est furax !
« Venez ici petits chenapans ! Revenez vite ou vous allez le regretter longtemps ! » Ploc ! Ploc ! Ploc ! Des gouttes de pluie tambourinent sur le toit de la maison. Une averse subite  s’abat sur la ville et le chignon de mémé. Je lui réponds « Un : lavage, deux : séchage, trois : chauffage. » Malgré notre peur, nous rions aux larmes, à cause de la tête de mémé qui est à mourir de rire avec sa canne brandie en l’air et ses cheveux rouges, aplatis sur son visage ruisselant.
Juste le temps de tourner la tête ! Nous fonçons droit vers le sol ! Je redresse le balai in extremis grâce à la tête de vieille. Zoé s’accroche à ma taille comme une sangsue. Nous avons échappé de justesse au crash. Tout à coup, le balai vire à gauche. J’ai beau essayé de le guider  vers la droite mais il ne m’obéit plus. Il continue tout droit en direction de la porte d’entrée où se trouve Mémé, les bras sur les hanches. Un coup de frein brutal et nous voilà avec Zoé projetés dans une énorme flaque d’eau aux pieds de mémé qui rit aux éclats. Elle a rajeuni de dix ans. Zoé et moi nous regardons surpris. C’est bien la première fois que nous voyons mémé rire ainsi. «  Que la fête commence… Suivez-moi ! Je vais vous apprendre à préparer une sacrément bonne potion magique à base de poudre de larves. » Zoé et moi, on est trempé de la tête aux pieds. Finalement ce dimanche pluvieux chez mémé s’annonce GÉ-NI-AL !!!


Peut-être que mémé est une sorcière, une vraie. Mais elle est aussi la plus rigolote de toutes ! Ce n’est pas un nez crochu, quelques verrues et un vieux balai poussiéreux qui va nous faire peur !
La voilà, qui s’en va vers la cuisine. Elle remue son gros popotin en chantonnant une drôle de chanson :
« Dans mon chaudron fumant,
Il y a de quoi faire des gourmands !
Petits asticots et bave d’escargot ?
Sans oublier quelques gros mots.
Goûter une bonne potion magique,
Il n’y a rien de plus fantastique !
Et quand la lune sera rousse,
Je serai encore belle et douce ! »
D’un hochement de tête, je rassure Zoé qui fronce les sourcils. Toutes les sorcières chantent des chansons qui n’ont ni queue ni tête ! … Non ? Dans la cuisine, mémé touille sa tambouille qui fume et parfume chaque chose environnante d’une odeur…nauséabonde. Zoé laisse échapper un « beurk » et se bouche le nez. Pour ne pas faire de peine à mémé, je reste là, à sourire bêtement, tout en coupant ma respiration.
« Approchez mes chers petits… » dit mémé d’une voix mielleuse.
Zoé claque des dents. Quelque chose me turlupine.
Nous nous penchons au dessus du chaudron sur la pointe des pieds. Quand derrière nous, mémé continue de chanter :
« Dans mon chaudron fumant…
… il me manque juste un bel enfant ! »
NON !

En entendant le « NON » terrifiant de ma sœur, je me dis qu’il faut que je trouve très vite une solution pour que nous ne finissions pas dans le chaudron. Une idée me vient soudainement.
- Mémé, tu veux dire qu’il te manque des cheveux d’enfants. Zoé a de beaux cheveux blonds, ta potion sera grandiose !
- Comme tu es marrant ! J’ai parlé d’un bel enfant et non des cheveux d’enfants, gronde-t-elle.
- Oh, mémé, tu as vu les jolis ongles de Zoé. Ils seraient parfaits, non ?
- Arrête tes sornettes, tu me fais perdre mon temps ! dit-elle, rageusement. Pour te prouver, petit insolent, qu’il me faut bien un bel enfant, je vais te montrer mon grimoire.
Lorsqu’elle me tourne le dos, j’en profite pour prendre quelques fioles et je les verse dans sa potion.
D’énormes bulles se créent alors dans la marmite. Une odeur nauséabonde s’en échappe.
- Mémé, mémé, viens vite ! Je crois que la marmite va exploser.
A mon appel, elle accourt, prend une grande cuillère et essaie de mélanger sa potion. Au lieu de ralentir la création des bulles, celles-ci deviennent de plus en plus grosses. Elles s’accolent et deviennent une seule bulle qui entoure le visage de mémé.
La voir ainsi, tel un cosmonaute gesticulant dans tous les sens, comme c’est drôle !


Bloup, bloup ! Dans le chaudron, les bulles continuent leur prolifération.
La vieille est tellement occupée à gesticuler pour se libérer de son drôle de casque qu’elle ne voit pas qu’une gigantesque bulle sort du récipient. L’énorme bulle lui lèche les doigts de pied et, gloups, voilà qu’elle l’englobe en entier ! La vieille est prisonnière !
« Hourra ! » crie Zoé qui semble ravie de voir notre grand-mère s’envoler dans les airs.
La bulle tournoie et la vieille se retrouve la tête en bas, nous révélant ses chaussettes à rayures et sa culotte à pois ! Zoé rit aux éclats !
Mais nous n’avons pas le temps de nous attarder devant le spectacle que nous offre Mémé. J’attrape Zoé par le bras. Il faut profiter de la situation pour quitter cette maison.
Nous nous précipitons vers la porte d’entrée mais, cette dernière est fermée à clé. Nous essayons les fenêtres du salon, de la chambre à coucher… Toutes les issues sont verrouillées.
Soudain, dans la cuisine, on entend un grand « Plop » suivi d’un grand « Boum » ! La bulle a éclaté et la vieille s’est écrasée sur le sol carrelé. Aïe, aïe, aïe ! Ça va chauffer ! Comment lui échapper ?
Nous décidons de retourner au grenier. Alors que nous nous apprêtons à monter, une petite trappe se soulève sous l’escalier et nous entendons : « Psitt ! Par ici ! Vite ! »

J’hésite un instant. Que faire ? Retourner affronter Mémé la sorcière ? Hors de question ! Ou alors suivre cette petite voix inconnue ? J’hésite et, du coup, c’est Zoé qui choisit pour moi en m’attrapant par la main et en m’entraînant à sa suite. Ma petite sœur se glisse rapidement dans l’ouverture sous l’escalier. J’ai un peu plus de mal à la suivre. C’est que je suis plus grand, et qu’elle est étroite, cette trappe. Et sombre. Je ne vois plus Zoé...
Je murmure « Attends-moi. C’est peut-être dangereux. », avant de sursauter violemment. Quelque chose m’a effleuré l’épaule. Pire ! Je sens un souffle sur ma joue qui fait courir un frisson tout le long de ma colonne vertébrale. Mais impossible de m’enfuir. L’espace est trop étroit pour que je puisse espérer faire demi-tour et, de toute façon, je n’abandonnerai jamais Zoé.
Je tends une main hésitante devant moi. Rien. Mes deux mains brassent désormais l’air comme un nageur fou. Toujours rien. Il n’y a absolument rien ni personne autour de moi, à part les parois de ce fichu tunnel qui m’enserrent. Il faut que je me calme. Pour moi. Pour Zoé. Et que j’avance.
Le trajet me paraît interminable. J’appelle plusieurs fois  ma sœur, sans jamais obtenir de réponse. Finalement, j’aperçois une faible lueur. Une petite voix moqueuse lance alors : « Hé bien, gros malin, tu as en a mis du temps !! »

Je n’en crois pas mes yeux ! Ma cousine Lola se tient là, devant moi. Je ne l’avais pas revue depuis des mois. J’avais demandé de ses nouvelles à mes parents mais ils semblaient éluder la question.
Je comprends maintenant pourquoi ! Je ne peux pas concevoir qu’ils soient de mèche avec Mémé la sorcière ! Pourtant, aucun doute, c’est bien ma cousine que j’ai sous les yeux. Elle a changé, pourtant. Physiquement, d’abord. Ses cheveux courts ont laissé place à une crinière jaune sale, où nœuds et morceaux de saleté en tout genre se côtoient. Elle qui était si soignée…
Mentalement, c’est aussi une autre personne. Un genre d’Amazone livrée à elle-même a remplacé la timide Lola que j’ai toujours connue, une fille bien élevée aux mœurs évoluées et langage soutenu.
Quelle surprise de l’entendre m’appeler « gros malin ». Je n’ose pas imaginer depuis combien de temps elle est retenue en captivité et je réalise soudain la précarité de ma situation et que je ne sais pas où est Zoé. La panique me prend. Pris de vertiges, Lola m’invite à m’asseoir dans sa « cabane » comme elle dit, qui ressemble plus à un dépotoir miniature qu’à la demeure cosy qu’elle avait l’habitude de fréquenter.
Calmé temporairement, j’en profite pour lui poser toutes les questions que mon esprit fatigué veut bien me transmettre.


Lola a l’air ravie de ne plus être seule, elle me parle de mémé, chez qui ses parents l’avaient laissée il y a 3 mois. Elle a découvert le secret de la vieille depuis longtemps et a évité la marmite de justesse. La vieille l’a cherchée pendant des semaines et des semaines, avec des hurlements à terroriser n’importe quel animal, mais Lola a tenu bon.
La nuit elle ressort de sa cachette récupérer de l’eau et des miettes de pain dans la cuisine de la vieille, mais mémé n’a jamais rien remarqué. Lola me raconte toutes sortes de choses qui se passent chez mémé, des histoires plus abracadabrantes les unes que les autres. Je commence à me détendre mais tout à coup je repense à Zoé et me met à paniquer. Je manque de hurler quand Lola me met la main sur la bouche : « Chut tu vas la réveiller ». Zoé a en fait perdu connaissance et Lola l’a couchée dans un recoin sombre sous un vieux morceau de couverture qui lui sert apparemment de lit. Je suis soulagé et commence à me sentir bien, même dans cette crasse et dans cette petite cachette confinée. Lola me raconte que Mémé a des amies (qui l’eut cru) sorcières comme elle et que l’une d’entre elles se fait appeler La Chasseuse. Cette sorcière a une voix d’outre-tombe et semble être respectée par les autres, même Mémé en a peur ! Elle leur lance des défis et leur demande souvent si la chasse est bonne. Mais Mémé n’est pas très douée pour la chasse et La Chasseuse le lui fait payer, à sa façon.


J’ai l’impression de cauchemarder. Bien sûr, je me suis toujours méfié de Mémé, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse appartenir à un gang de sorcières à la tête duquel se trouve une impitoyable chasseuse, lançant des défis maléfiques. Tout cela me semble tellement irréel. Mais face aux événements qui se sont déroulés depuis notre arrivée dans ce taudis, je n’ai d’autre choix que de croire ma cousine Lola. Nous sommes prisonniers, condamnés à vivre comme des rats ou à finir dans un chaudron. Une troisième solution me semble bien loin tout à coup.
Des centaines de questions se bousculent dans ma tête, mais ma bouche refuse de les laisser sortir. J’arrive néanmoins à prononcer « Tu penses qu’elle nous ferait vraiment du mal. C’est quand même notre grand-mère ? ». Mes larmes sont prêtes à couler, mais je ne laisse rien paraître. Je suis le seul garçon et donc logiquement le plus courageux. Si seulement elles savaient…Pour la première fois depuis des mois, je me ronge les ongles.
« J’ai tout essayé » me dit Lola. Elle ferme portes et fenêtres dès le soleil couché. Elle a des yeux de lynx et un odorat de chien. Rien ne lui échappe. Parfois, je sais qu’elle fait semblant de dormir et qu’elle guette. Mais j’ai appris à être maline. J’ai même appris certaines de ses formules magiques.
Soudainement, il me vient une idée de génie. « Je sais… » leur dis-je, triomphant. « le grimoire ! ».

- Le grimoire ?
- Ben, oui, quoi LE grimoire ! C’est notre unique planche de salut. Il nous faut le récupérer, et vite fait bien fait pour nous sortir de ce sinistre et malfaisant bourbier. Alors, où le cache-t-elle, ce satané bouquin ?
- Dans sa chambre, sous son matelas...
- Tu parles d’une cachette ! Le matelas du lit de la sorcière, dans sa chambre nauséabonde... fermée à quintuple tour... Et la vieille qui garde les clés de la porte de sa chambre autour de son cou. Rien que ça ! Nous voilà bien avancés ! Bon, restons calmes. Quelles formules magiques connais-tu ?
- Je... je... ne me presse pas, il faut que je réfléchisse !
- C’est qu’on n’a pas beaucoup de temps ! Il va falloir être malins et efficaces ! Grouille-toi Lola !
- Alors... euh, invisibilité temporaire, zut, non trop court, ça n’ira pas ! Lecture des pensées... aucun intérêt... réparer des objets cassés... non plus ! Si seulement, j’avais appris celle pour débloquer les portes et les fenêtres....
- Oui, bon, ce n’est pas le moment de se lamenter sur ce que tu ne sais pas, cousine ! Rassemble tes esprits, qu’on ne finisse pas tous en fricassée au fenouil puant !


- Mise en pli instantanée,  non…  bouton rapetisseur, oui, celle-là, pourrait nous servir.
- Génial ! mais, c’est quoi au juste ?
- Celui qui prononce cette formule a un bouton rapetisseur qui pousse au milieu du front. Il suffit d’appuyer dessus pour rapetisser.
- Alors vas-y ! je t’écoute.
- Attends, deux secondes, laisse-moi réfléchir… Rapeti,Rapeton, Petit,Petit,Mini  tout riquiqui,  Rapetisse et rétrécis...
Et ploc ! Un énorme bouton rouge surgit au milieu du front de Lola.
- Wouah ! Fantastique ! Il ne te reste plus qu’à l’essayer.
La main tremblante, Lola appuie doucement sur son horrible bouton. Et ffffft…. en une demie seconde, elle ne mesure pas plus de 10 cm. Elle appuie de nouveau et fffffft, la voici de nouveau assise à côté de moi.
- A ton tour maintenant ! dit Lola. Je n’irai pas toute seule.
-  Rapeti,Rapeton, Petit,Petit,Mini  tout riquiqui,  Rapetisse et rétrécis...
Et Ploc ! me voilà avec le même horrible bouton en plein milieu du front.

- Incroyable ! J'espère qu'il fonctionne bien aussi ?
- N'aie crainte, répond Lola, ça marche à tous les coups !
Alors j'appuie sur le bouton magique et ffffft … je vois la « cabane » s'agrandir, s'élargir … Lola devient une vraie géante ! J'appuie une seconde fois sur le bouton est ffffft … tout redevient normal.
- C'est génial ! Nous pouvons devenir aussi petits que des souris, surveiller Mémé discrètement, nous glisser sous ses portes ! Parfait pour sortir d'ici, elle ne nous verra pas !
J'actionne à nouveau le bouton ...ffffft …
- Allez, Lola, viens avec moi !
Ffffft … Et voici Lola miniaturisée comme moi! Nous nous regardons et nous commençons à pouffer de rire … hi, hi, hi, c'est trop drôl e!
Soudain, nous entendons un gémissement, des mouvements feutrés puis une petite voix qui appelle :
- Thomas, Thomas, où es-tu ? Thomas ? Thomas?
- Oh, c'est Zoé, elle vient de se réveiller ! s'exclame Lola. Il faut l'emmener avec nous !
- Zoé ! je m'écrie, je suis là, ne t'inquiète pas!
Zoé nous cherche des yeux un moment. Enfin, elle nous aperçoit et, effrayée, elle se met à pleurer.


- Ah non ! C’est toujours moi qui m’évanouis, qui ai peur et qui pleure ! Thomas, trouve autre chose, d’accord ? Pourquoi pas : « Elle nous aperçoit et, effrayée, elle pousse un drôle de cri : « Aaaaaah hiii oooh !! » rectifie Zoé, se blottissant de nouveau contre moi, dans le poussiéreux grenier.
- D’accord Zoé, si tu veux. Allez, je reprends notre petite histoire qui fait peur ! Donc, tu cries et Lola te dit :
- « Chuuut ! Zoé, ne fais pas tant de bruit. Maintenant, c’est à ton tour de rapetisser : Rapeti, Rapeton, Petit, Petit, Mini  tout riquiqui,  Rapetisse et rétrécis...
- Mais quel affreux bouton sur mon joli front !
- Vite réfléchissons, la nuit va bientôt tomber, nous devons nous échapper !
- Quand nous étions dans sa cuisine, au bas de la porte fenêtre, j’ai vu un endroit tout abîmé, d’où rentraient et sortaient de grosses blattes jaunâtres. On pourrait s’y faufiler et à nous la liberté !! je dis, triomphant.
Alors qu’on s’apprête à passer discrètement par les fentes du plancher, on entend un bourdonnement terrifiant ! La maison de la vieille se met à vibrer, le bourdonnement se rapproche et se fait encore plus terrible. Puis, soudain, le silence. Un silence à nous glacer le sang. Comme des statues, on ne bouge plus. Lola a du mal à articuler : «  Ce sont les… les autres… sorcières !!!! » On se serre tous les trois, et on observe, car de là où nous sommes cachés, nous pouvons voir… La première à rentrer est si affreuse, que notre sorcière de grand-mère paraît juste moche à côté !

Ses cheveux ne sont que des brins de paille épars sur sa tête toute cabossée, ses yeux sont aussi ronds et petits que des billes et sa bouche… une grande bouche déformée d'où dépassent des dents jaunes et cassées.
Je sens la main de Zoé se crisper sur la mienne ou c’est la mienne qui se resserre, je ne sais pas. J’ai tellement peur. Mes yeux ne peuvent se détacher de l’horrible sorcière. Un épouvantail, voilà ce qui me traverse l’esprit. Elle s’approche de notre grand-mère d’un pas chancelant, son balais difforme à la main. On dirait qu’on lui a raboté une jambe. Elle est suivie de près par une autre, avec la tête basse, difficile de voir à quoi elle ressemble. Zoé tremble contre moi, elle murmure à répétition le chiffre trois. Lola de l’autre côté semble attendre quelqu- chose. Son regard fixe la scène devant nous.
« Lola, Lola, qui sont-elles ? » je chuchote.
Elle ne répond pas, fixant toujours droit devant elle.
« Tho…mas… partons » pleure à moitié Zoé.
Les trois sorcières se retournent d’un coup vers l’entrée. Un spasme secoue le corps rapetissé de Lola.
« C’est elle… nous sommes fichus… »


«  Elle, qui ça, elle? »  je demande.
«  La Chasseuse! La terrible Chasseuse! » répond Lola dans un murmure terrorisé.
Le ton de sa voix est sans équivoque. La cousine ne fait pas semblant avoir peur. Zoé panique:
«  Mais co...co...comment on va faire pour lui échapper? »
Je n'en mène pas large mais en temps que garçon, j'essaie de me montrer rassurant:
« Faisons-nous tout petits. Chut ! La Chasseuse ne doit nous remarquer.. »
Des grincements épouvantables se font entendre. Les enfants croient leur dernière heure venue.
« Elle va nous croquer ! » dit Zoé.
« Elle va nous jeter un sort ! » renchérit Lola.
« Nooo n! Je crois qu'elle va nous tuer ! »  je conclue en perdant tout sang-froid.
Tout à coup, alors que les trois chérubins transpirent de peur en essayant de ne pas se faire remarquer, une voix d'outre-tombe résonne dans toute la maison:
«  BANDE DE PETITS MINUS !!!!! Je sais que vous êtes là ! Mais je n'ai que faire de trois enfants maigrichons. Je suis venue m'occuper de votre grand-mère. C'est la sorcière la plus nulle qu'il m'ait été donné de rencontrer ! »

La Chasseuse et sa bande s’arrêtent net au milieu de la pièce et crient d’une même voix :
« Emeraldine, montre-toi ! ».
Un silence pesant s’ensuit. On entendrait presque nos dents claquer si nous n'étions pas toujours aussi petits au raz du sol, cachés entre deux lames du plancher. Ne voyant rien venir la chef des sorcières s’époumone de nouveau : « E.M.E.R.A.L.D.I.N.EEEEEEEE ».
Les murs et le plancher tremblent et, semblant arriver de nulle part, mémé apparaît. Dans un grognement et bavant, tellement elle est en furie, la Chasseuse vocifère : « Je suis mécontente de ton travail, voilà trois mois que tu dois nous apporter le suprême d’enfant, plat d’honneur de mon anniversaire et à ce jour pas la moindre odeur de fumet d’enfant autour de ta maison ! »  Mémé bredouille des excuses, tremble comme une feuille, se met à pleurer : « Je cours partout après la petite Lola qui s’est cachée dans ma maison et comme je voulais pouvoir vous offrir malgré tout le fameux plat, j’ai fait venir ses deux cousins, mais ils ont aussi disparu. »« Pas d’excuse, vocifère la méchante, nous allons t’enlever tes attributs et tu redeviendras simple mortelle. »
Malgré la peur, nous nous regardons : Mémé est une sorcière évidemment, mais avant tout c’est notre mémé et une mémé aussi vieille et laide qu’elle soit, on n’en a pas beaucoup dans sa vie.  Lola chuchote « le grimoire ».
En un instant nous filons dans la chambre de mémé, appuiyons chacun sur le bouton du front de l’autre pour reprendre notre taille normale et Lola cherche la formule qui fait disparaître toutes les sorcières. Juste une lecture et nous apparaissons face aux sorcières en criant d’une seule voix « creatum excelum sera ».
Dans un tourbillon de poussières, les sorcières, y compris mémé se retrouvent au plafond et retombent comme des crêpes. Le sourire qu’elles nous adressent alors, tout en douceur leur font comprendre que nous avons réussi !
Au même moment, Zoé aperçoit dans l’encadrement de la porte maman qui ne semble pas surprise de voir parmi le désordre de la pièce quatre vieilles amies charmantes de la mémé. « C’est l’heure les enfants nous rentrons ».
Mémé nous regarde avec malice «  Ma chérie, laisse moi donc les enfants pour diner, j’ai préparé un suprême délicieux »

20 commentaires:

  1. Super super vraiment super (enfin faut que je finisse de tout lire éhé !) j'aime beaucoup ce concept !! Très jolies choses !

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  2. Il y a de belles choses... Bravo à Cocotte en papier pour sa belle couverture !!!

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  3. Superbe! Un vrai régal! Bravo à tous!

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  4. Yeah, extra chouette rendu .... Gros coup de coeur pour la Page d'émilie fiala.... Comme d'hab j'adore....<3

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  5. hihi j'ai beaucoup rigolé, je suis conquise l'idée est très marrante!! j'ai hâte de voir le voisin !!

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  6. Yes ! Vive la vieille ! Merci à vous deux pour ce gros travail et de nous avoir tous réunis ! heu ?....on recommence ? ;-)

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  7. C'est un délice à lire et les suites s'imbriquent vraiment parfaitement les unes à la suite des autres, j'adore la couverture et beaucoup d'illustrations. Merci a Yohan qui a vraiment bien illustré l'épisode de la vaisselle et merci aux deux organisatrices pour ce concept très sympa. On pourrait en faire un mignon petit livre, non ?

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  8. C'est dingue que tout s'imbrique parfaitement ! Un grand bravo aux deux organisatrices !

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  9. Sacrée aventure rocambolesque !! bravo à tou(te)s !! j'ai adoré participer au projet, et coup de chapeau à Ingrid et Anne, hip hip hip... !
    (et merci encore Cocotte, et moi j'aime beaucoup ta couv ;))

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  10. Un régal, un délice et un double suspens, en attendant son tour ou l'aboutissement, et aussi en lisant !

    Bravo à tous, à toutes....

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  11. Complètement foldingue cette aventure à rebondissement.
    La couv est vraiment géniale !!!

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  12. Super projet !!! Bravo à tous :)
    Gros coup de coeur pour la couverture ♥

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  13. Wouah !!! Les textes et les dessins sont magnifiques!!! C'est un véritable régal!!!

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  14. Bon moi j'adore, et j'espère qu'on pourra revivre prochainement l'expérience !! Je me doute que ça doit demander du boulot, mais on pourrait "voter" pour un thème, puis ensuite, je suppose que lorsque le projet est prati, lorsqu'il est en route c'est bon...il fait sa vie, suit son ptit chemin tout seul ! (non ?) Ça donne de supers résultats, originaux ! ! !

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  15. Excellent ! Et c'est amusant de voir des similitudes :)
    Je trouve que vous avez très bien mené ce projet ! Bravo aux auteurs et illustrateurs !

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  16. C'est excellent ! Quel joli résultat pour une formidable initiative !
    J'ai pris grand plaisir à participer à ce projet ! Bravo à tous !

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  17. bravo, bravo, bravo , bravo , bravo, bravo, bravo, bravo, bravo , et encore BRAVO

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  18. C'est génial cet enchaînement des événements ! Merci aux deux organisatrices et bravo à tous les participants ! A renouveler!!!

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