mardi 5 juillet 2011

Et voici... "Le voisin du dessus"

Le deuxième projet de Mot@Mots est enfin finalisé ! Et le voici le voilà sous vos yeux ébahis !!
Avec dans les rôles principaux et par ordre d'apparition :


-Anne (auteure)
-Ingrid (auteure)
-Mélanie (illustratrice)

- Armelle (auteure) 
- Manuel João (auteur)
-Poome (illustratrice)

- Valy (auteure)
- Laurie (auteure)
- Bénédicte (illustratrice)
- Juliette (auteure)
- Agnès D. (auteure)
-Captain Jelly (illustratrice) 

- Karla (auteure)
- Mélanie (auteure)
- Pacall (illustrateur)

- Marie (auteure)
- Sophie (auteure)
- Gaëlle (illustratrice)

- Mariedo (auteure) 
- Odette (auteure)
- Virginie (illustratrice)

- Mariesse (auteure)
- Valérie (auteure)  
- Daffy (illustratrice)

- Eymeric (auteur)
- Anaïs (auteure)
- Vivyane (illustratrice)

- Agnès L. (auteure)
- Jean-Luc (auteur)
- Valérie (illustratrice)

- Valou (auteure)
- Olivier (auteur)
- Driian (illustrateur)

La couverture est de Leila.

Vous êtes prêts ? C'est parti !!!





1. Il est là. Je sens son poids. Un poids lourd. Il ne roule pas mais il m'écrase quand même. De sa présence invisible, de sa masse qui m'assomme à chacun de ses pas. Le parquet craque, couine, gémit. Moi, allongée dans mon lit, immobile, les yeux rivés au plafond, je peux suivre ses allées et venues. A gauche, à droite, demi-tour, repasse, hésite, repart.
Depuis qu'on a emménagé dans ce vieil immeuble, dans cette ville pluvieuse, dans cette région paumée, c'est tous les soirs pareil. Je me couche et il vient. Il investit mon silence et mon sommeil. Je ne l'ai pas encore vu. Mais je l'imagine très bien. Un corps épais, des cheveux gras et épars, une allure de camionneur. Forcément.
C'est le voisin du dessus. Et c'est une énigme. Mon énigme. Il faut bien que je m'occupe un peu pendant ces vacances ratées, ces vacances passées à faire des cartons et puis à les défaire. Ces vacances perdues au milieu de nulle part. Avant l'école, les devoirs et les inconnus de ma nouvelle classe. Alors ce bonhomme là-haut qui tourne et vire sur ma tête va faire l'affaire. D'ailleurs il n'est sûrement pas net. La nuit c'est fait pour dormir, pas pour faire la girouette.
J'ai décidé de le surprendre. De voir enfin sa trombine, sa tronche de faux jeton.
Ce matin je l'attends au pied de l'escalier et je l'entends qui vient...


2. Les pas approchent, aussi assourdissants que dans mon souvenir d'une nuit blanche.
Je m'impatiente, je tourne sur moi même et il est là.
Presque minuscule, presque invisible.
J'en reste bouche bée. Je dois avoir l'air sacrément ridicule.
Il me fixe et moi je ne bouge pas, empêtrée dans ma gêne et le rouge de mes joues.
« Je peux vous aider ? » Sa voix est aussi frêle que lui.
Je suis incapable d'articuler un mot, ça ne vient pas. Alors, dans un geste désespéré, je prends mes jambes à mon cou.
Je cours, les immeubles gris défilent, j'entends des enfants rirent au loin.
Puis je n'entends plus que mon souffle, rapide et affolé.
Je m'arrête prés d'un abri bus, le temps de mettre de l'ordre dans mes idées.
Après tout, je me suis peut-être trompée... peut-être n'est-ce pas lui que j'entends chaque soir.
Il faut que je me ressaisisse ! Je dois ressembler à une folle échappée de l'asile avec mes cheveux hirsutes et mon air égaré.
Je ne vais pas me laisser impressionner par ce tout petit bout d'homme !
3. Je fais demi-tour et me force à contrôler le rythme de mes pas. Peu à peu, mon souffle s’accorde à leur fréquence, reprend une impulsion normale.
Qu’est-ce qui m’a pris? En fuyant comme une folle, j’ai laissé la porte de l’appartement grande ouverte. Mes parents dorment encore, vulnérables, à la merci d’un inconnu. Mon chat a du en profiter pour se faire la malle. Manquait plus que cela. Dans une ville inconnue, il va se perdre. Pire encore, se faire écraser. Je ne le supporterai pas. Il faut absolument que je le retrouve.
Tout ça à cause de ce petit bonhomme au teint pâle avec son drôle de cartable à roulettes. Que peut-il bien transporter là-dedans ? Quelque-chose de très lourd pour faire autant de bruit dans l’escalier.
Avec ce sac, il ressemble à un fantôme qui transporte ses chaînes.
Je ris de ma bêtise. Quoiqu’il en soit, je ne sais toujours pas qui est le voisin du dessus. En tout cas, ce n’est sûrement pas ce moustique aux cheveux filasses. Son fils peut-être ? Qu’importe, je continuerai mon enquête demain.
Je prends un raccourci, m’enfonce dans une ruelle. Derrière moi, une silhouette m’emboîte le pas. Je bifurque brusquement, me hâte vers une travée plus éclairée. Les pas s’accélèrent dans mon dos. Pas de doute cette fois. Je suis suivie.


4. Il faut que j’arrive vite au fond de cette ruelle sombre et déserte. Il y a des passants, là bas. Je serai sauvée. Je cours. Les pas derrière moi m’accompagnent. J’accélère.
« Eh ! Attendez ! »
Je vole.
« Le chat, il est à vous ? »
Le chat ? J’arrête. Je suis déjà à la zone plus illuminée. Je fais demi-tour. Pas possible ! C’est lui, le minuscule tonitruant ! Je fais un pas en arrière, mais il a Cat qui se contorsionne pour échapper à ses bras qui le serrent contre la poitrine.
« Cat ! Qu’est-ce que… »
« Il est donc à vous… » et, soulagé, il me le tend. Me le jette, pour être plus précise.
« Cat… ! » je dis le plus doucement possible pour le calmer. En fait il s’appelle Catastrophe, mais c’est un peu grand comme nom…
« Merci… »
« Le colis ! » et il se met à courir tout en effrayant le chat. Trop léger.
Par contre, si son colis est à l’intérieur du cartable à roulettes qu’il traînait en descendant l’escalier…


5. je ne sais pas s’il va le retrouver ! Ce doit être vraiment important ce qu’il a dans ce drôle de cartable à roulettes pour avoir filé aussi vite ! C’est peut-être un agent secret !
- Arrête ma fille, tu délires, dis-je soudain tout haut alors qu’un passant me regarde secouant la tête. Il doit penser que je suis folle. Pour en revenir au gringalet, on voit bien qu’il ne connaît pas très bien le quartier, il est retourné sur ses pas pour retrouver l’immeuble, il fait un détour l’imbécile, il aurait mieux fait de rester avec moi, encore quelques pas dans cette ruelle, puis je tourne à gauche et tout au bout de la grand rue, l’immeuble ! Tant pis pour lui, dans tous les cas, j’y serai bien avant lui ! Et puis, en fait je préfère ne pas l’avoir à mes côtés, il est trop bizarre.
Je coince Cat dans ma veste, on ne voit plus que sa tête, il a l’air de se sentir bien, là, au chaud ! Soudain, je pense à mes parents, ils doivent être réveillés à présent et doivent se poser des tas de questions. Je presse le pas, je n’ai pas envie qu’ils ameutent tout le quartier. Trop tard !! Devant notre immeuble il y a un attroupement, je reconnais Madame Marchal, toujours avec ses bigoudis sur la tête ! Il y a aussi Monsieur Henry, mes parents encore en pyjamas et d’autres voisins. Ils sont tous en cercle autour de quelque chose ! Oh ! Je comprends soudain ! Le sac à roulettes !
C’est alors qu’on entend la sirène des pompiers !


6. Je m’approche doucement. J’hésite. Ai-je vraiment le droit de regarder ? Je ne connais pas cet homme. Je ne connais pas son histoire. Je sais déjà ce que je vais voir. Son corps étendu au milieu de la route, tremblant ou peut être pas…Est-il mort ? Les camions des pompiers sont là. Leurs lumières rouges et bleues balayent le ciel. C’est trop tard pour reculer. Je veux savoir. Je veux voir.
Je m’approche. Je bouscule Madame Marchal pour l’apercevoir. Je me hisse sur la pointe des pieds. Il est là…Mais il ne ressemble pas au petit Monsieur que j’ai croisé ce matin. Une vilaine barbe à poussée sur son menton, et il n’as plus son air de « petit garçon ». De sa plaie entrouverte coule un filet de sang. Un filet de sang violacé…Autour de moi j’entends des murmures « Vous avez vu, son sang est violet. Comme c’est étrange… », «  C’est incroyable ! », « Qui est ce ? », « Est-il humain ? ».
Je n’arrive pas à détacher mes yeux de son corps inerte. Du sang violet…Une barbe… Qui est-il ? Quelle est cette créature ? Les pompiers ont l’air aussi dubitatif que les passants. Ils soulèvent son corps et le portent sur le brancard. Je ne cesse de fixer son visage. Il ne peut pas être mort…Pas comme ça. Soudain…Son corps se décompose en infimes particules et disparaît.

7. Je reste plantée là à regarder cet impossible vide et la seule chose qui me vient à l’esprit, c’est que le pompier accroupi près du brancard a un faux air de mon prof de maths de sixième. Il devrait y avoir dans ma tête un demi million de pensées bien plus intéressantes que celle-là, des images carrément plus choc, un sac à roulettes éventré, une barbe d’ogre, une flaque de sang, mais non, il y a mon prof de maths… et puis le bruit. Au début, je crois que c’est la sirène des premiers secours qui s’est remise en marche sans qu’on lui demande son avis, ou bien les cris de la foule agglutinée au pied de l’immeuble. Mais c’est encore autre chose. Une musique. Un chant. Sauf que je n’arrive pas à capter les paroles. Il suffirait d’écouter encore, juste encore un peu…
À ce moment-là, Cat me plante ses griffes dans l’épaule et s’échappe de ma veste. Je me rends enfin compte qu’il y a un moment que j’ai oublié de respirer. J’avale une grande goulée d’air et je redescends sur terre : la musique s’arrête, le pompier a sa tête de pompier, le sang goutte de la civière et sur le trottoir derrière moi un bébé râle de ne plus être le centre du monde.
Je file après Cat, le poursuis jusqu’à l’appartement et m’enferme à double tour dans ma chambre.
Je m’endors illico. Quand je me réveille, il fait déjà nuit et la musique s’est remise à jouer, quelque part, peut-être dans ma tête. Cette fois, les paroles sont on ne peut plus claires : Viens !


8. Viens... ces mots résonnent dans ma tête, dans mes rêves. Soudain, je revois cet homme, étrange, étendu sur le bitume. Pourtant... Pourtant, j'entends encore du bruit au dessus de ma chambre. Il est là, je le sens. Je le sais. Viens... N'aie pas peur...J'ai besoin de toi...
Il fait jour. C'est déjà le matin. Aujourd'hui, j'ai décidé d'aller voir la concierge de l'immeuble. Je ne sais pas encore ce que je vais lui demander. On verra bien.
Avec un peu d'appréhension, je frappe à la porte du rez-de-chaussé. C'est une gamine qui ouvre.
La petite me regarde, l'air farouche, puis, tourne la tête et crie d'une voix stridente :
-Mamyyyy !!!
Alors le visage d'une vieille femme apparaît, souriant.
-Oui ? demande t-elle d'une voix douce. Me voilà rassurée.
-Bonjour, je suis nouvelle ici... vous savez, mes parents et moi, on vient d'emménager au 5e... heu... je voulais me présenter...et puis savoir...heu...vous connaissez le voisin du 6e ?
Je regarde la petite qui est restée plantée là à me dévisager.
-Rentrez ! me propose gentiment la “mamy”. J'allais me faire une tasse de thé, vous en voulez ? Mais vous savez, le 6e étage est inoccupé depuis des lustres !

 
9. - Inoccupé ! Comment cela inoccupé ? Plus personne n'y habite plus, du tout du tout ? Je réussis à dire interloquée.
- Comme je vous le dis Mademoiselle... Mademoiselle comment ...?
- Adèle Bournery, Madame.
- Bien Adéle, un bien joli prénom ! Moi tout le monde dans l'immeuble m’appelle Madame Loiseau, et ma petite fille à côté de toi s'appelle Justine. Je la garde tous les mercredi, sa maman travaille comme inspecteur au commissariat de l'arrondissement.
- C'est drôle Madame Loiseau, je... j'étais certaine d'entendre des pas le soir au dessus de ma tête... au 6e... Qui cela pourrait-il bien être ?
C'est très fugitif, mais juste un instant, Madame Loiseau me fixe d'un regard perçant. Puis si comme rien ne s'était passé, elle reprend son air de gentille mamy, ignore ma question, et me sert une tasse de thé vert en papotant. Son attitude me renforce dans mes certitudes : je n'ai pas rêvé, il se passe bien quelque-chose au dessus de ma tête tous les soirs. Et quelqu’un veut le cacher. Qui ? Pourquoi ? Adèle, à toi de démêler l'affaire des trois 6 : 6 de la rue de l'hirondelle, 6e étage, 6e arrondissement. Primo : se faire une alliée dans la place. Justine et ses yeux pétillants de malice feront parfaitement l'affaire.



10. L'appât du gain, ça marche toujours bien :
_ Tu sais, Justine, ma mère m'a demandé de profiter du déménagement pour trier mes jouets. Tu voudrais regarder si quelque chose te plaît avant qu'on aille chez Emmaüs ?
_ Oh oui, oh oui, oh oui ! S'te plaît mamy, je peux aller chez Adèle ? Dis oui !
Les yeux de Mme Loiseau se voilent un instant, puis elle retrouve son sourire émail diamant et répond :
_ Mais bien sûr ma petite Marie ! Euh... Justine, pardon. Je confonds toujours avec sa mère, ça doit être l'âge !
Mon plan est justement de garder Justine assez longtemps chez moi pour voir sa mère, qui doit venir la chercher. Pas de soucis vu le nombre de cartons à déballer...

Lorsque la sonnerie retentit, c'est ma mère qui ouvre. Gagné, c'est bien l'inspecteur « Marie ». Je continue de jouer innocemment avec Justine en écoutant parler les deux mamans.
_ C'est drôle, confie la maman de Justine après quelques politesses, je n'ai pas monté ces escaliers depuis des années ! Moi aussi j'avais un ami à l'étage quand j'étais petite. Paul... J'avais l'impression que j'allais le retrouver en montant les escaliers !






11. A ces paroles, je me lève, emmenant avec moi une Justine rayonnante, un carton plein de nouveaux jouets dans les bras, rien que pour elle ! La petite fille court vers sa maman, un regard ravi et un sourire jusqu'aux oreilles :
-Maman maman mamaaaaaaaaaaaan ! Regarde tout ce qu'elle me donne Adèle !

Suivant de près, je découvre alors la fameuse Marie : indéniablement une belle femme ! Je la salue et me présente, elle me remercie...
-Oh ce n'est rien, ça me fait plaisir de voir votre fille heureuse comme cela ! Je m'excuse, mais je vous ai entendu parler d'un Paul qui habitait au-dessus ? Vous le connaissiez bien ?
-Oui oui, comme je disais, nous étions dans la même école primaire, et il habitait l'appartement au-dessus du votre. Mais - son visage se ferme - … Il est... parti.
Parti ? Comment cela ? Oups. La question a franchi mes lèvres sans que je le veuille. Dans les yeux de l'inspectrice, je vois passer une lueur qui me met mal à l'aise. Elle dit doucement :
- Croyez-moi il y a des choses du passé qu'il ne vaut mieux pas ressasser. Laissez-les là où elles sont.
Puis la tête de la femme redevient normale, elle semble faire l'impasse sur ce qui vient de se dire. Les mamans discutent encore un peu, puis Justine et Marie s'en vont. Ma mère retourne à ses propres cartons, je suis prise d'une subite envie de monter voir à l'étage, ma curiosité piquée au vif...

12. Seulement cette fois, je prends mes précautions. Je déniche une lampe de poche dans le fouillis et je me saisis d'une arme. En fait, je décide que la statuette en bois que mon père a ramenée de Bali sera une arme efficace, je n'ai rien trouvé de mieux.
Je me dirige vers la porte, hésite... il serait peut-être plus prudent que je prévienne ma mère : tout ça a l'air vraiment bizarre tout de même ! Ou alors, je retourne chercher Justine et on y va ensemble ? Oh, allez Adèle, tu es détective maintenant, tu ne vas pas avoir les chocottes quand même !
Je monte prudemment les marches, mais cet escalier est tout ce qu'il y a de plus banal, il ne fait même pas sombre ! Quand j'arrive devant la porte de l'étage, je suis un peu déçue : la porte est exactement identique à la mienne, semblable à toutes celles de l'immeuble en fait. Il y a une sonnette, mais pas de nom dessus. Je ne vais pas sonner quand même ? Le propriétaire s'est décomposé sous mes yeux.
Je prends mon courage à deux mains et j'appuie sur la poignée et là... elle s'ouvre, tout simplement ! Je jette un œil à l'intérieur : il n'y a rien, rien du tout, c'est vide. La poussière semble attester ce qu'a dit Mme Loiseau, cet appartement est inoccupé depuis très longtemps. Je furète partout et je repère la seule pièce fermée... c'est celle qui est juste au-dessus de ma chambre !
 
13. Et voilà ! Je me retrouve là comme une conne devant une porte fermée à clé, armée d'une ridicule statuette en bois de Bali ! Il y aurait de quoi se marrer si la situation n'était pas devenue aussi stressante. Il y a un type ici et il planque un truc derrière cette porte  ! J'en mets... quoi... ma tête à couper ? Non, la statuette, ça débarrassera bien le plancher. Je ne peux plus la supporter d'ailleurs cette horreur ! C'est tout ce qu'il a trouvé à me ramener de Bali, un truc qu'on achète dans tous les bazars, de Montparnasse à Hong Kong en passant par New Delhi. C'est un coup de cette femme, sûrement ! « Achète-lui, ça va lui plaire, et ça la fera taire  » . Je SAIS qu'il est parti avec une femme quand il a parlé de ce congrès à Bali. J'ai VU son mensonge dans ses yeux. Et il sait que je sais...Héhé ! Mais elle, je sais pas qui c'est ! Et ça m’embête. Mais au fait, il est ou mon père ? Je ne l'ai pas vu ce matin ! Bon, récapitulons. Ma mère était en train de déballer ses cartons, et … non ! Pas vu ! Bon sang ! Et si c'était lui le type ? Alors là, Adèle je crois que t'as fait une super déduction. Et ça m'étonnerait pas que la mère Loiseau soit dans le coup. C'est tout de même bizarre cette idée de déménager dans ce pays pourri. On était BIEN dans l'appart de la rue des oiseaux. Rue des oiseaux !…rue de l'hirondelle !... madame Loiseau ? Mais c'est une vraie volière ! Je sens qu'il y a une belle entourloupe dans cette histoire .

14. -Reprends toi ma Dèl, je murmure lentement. Maman m’appelle comme ça quand j’ai le cafard ou quand je stresse.
Je suis planté là, derrière cette porte, le cœur battant à tout rompre. Je le sens qui fait tambouriner mes tempes. J’ai la frousse et alors, c’est humain. Je pose la main sur la poignée et prends une grande bouffée d’air. Je sers la statuette dans l’autre main, soudain j’entends du bruit à l’entrée.
La porte s’ouvre, je me réfugie dans la cuisine et me cache dans l’entrebâillement de la porte.
-Fais moins de bruit, on va nous entendre, chuchote une première personne.
-Qui pourrait nous entendre ? Ça fait plusieurs semaines qu’on est en planque et personne ne nous a vus, s’emporte la seconde voix.
Moi je vous entends, je ne peux pas m'empêcher de penser. Je tente d’apercevoir leurs visages en me penchant en avant.


15. Malgré la peur, la curiosité est trop forte, il faut que je sache ce dont il s’agit. Deux hommes en noir passent devant moi et se dirigent vers la pièce close, la fameuse pièce qui se trouve juste au dessus ma chambre. L’un des types sort une clé de sa poche et l’introduit dans la serrure. Les deux hommes entrent dans la pièce secrète et repoussent la porte derrière eux, sans la refermer complètement. C’est le moment ou jamais. A pas de loup, je sors de la cuisine en serrant la statuette contre moi, comme un talisman protecteur. Sur la pointe des pieds, je m’approche et je regarde par l’entrebâillement. La pièce est remplie de matériel électronique, un peu comme on en voit dans les films d’espionnage. Il y a plusieurs ordinateurs, un énorme appareil photo ou un télescope, je ne sais pas trop, est installé devant la fenêtre. Les deux hommes s’activent avec leur matériel sophistiqué. Le plus grand manipule une petite boîte qui émet des bruits bizarres. Tout à coup il tire quelque chose de dessous une table. Mais je rêve ! C’est le cartable à roulettes du minuscule bonhomme. Le type en noir approche son boîtier qui se met à faire des bip bip de plus en plus fort. Je l’entends qui dit à son comparse 
-Pas de doute, il y avait bien une de ces choses dans cette valise, je détecte encore des particules !
Le deuxième type s’approche avec un tube et un petit instrument et il commence à gratter le rebord du cartable :
- On va apporter un prélèvement de ce sang violet au labo pour analyse.

16. Et les deux hommes se dirigent vers la porte…Vite !! Je vais être prise au piège ! Sur la pointe des pieds, je quitte ma cachette et je sors de l’appartement… mais là, comme une nouille, je trébuche sur le paillasson, et je fais tomber cette fichue statuette !! J’ai à peine le temps de la ramasser, et de filer dans l’escalier, que déjà ils sont sur le palier :
- Miaaaaou !... Miaaaaou !...
- Ce n’est rien… juste un chat !... Mais ne restons pas là…, dit l’un des hommes.
Ouf ! Merci Cat !! Tu es un amour ! Demain tu auras mon yaourt pour le p’tit déj ! L’oreille collée à la porte de mon appart, je les entends passer et descendre l’escalier. Puis claquer la porte d’entrée. A mon tour, je me précipite, et je descends les étages quatre à quatre… Tiens, un vélo qui traîne! Juste ce qu’il me faut ! Je l’enfourche, quand soudain, une main ferme m’agrippe le bras:
- Hé, toi ! Tu vas où comme ça ? C’est mon vélo !!
- C’est Adèle, dit la petite Justine. Tu sais, je t’en ai parlée. Et lui, c’est mon cousin Yohann.
- Vite !! J’en ai besoin ! Je te le rendrai, promis… !! C’est urgent… S’te plait !!
Et là, forcément, je prends mon-air-de-super-sainte-nitouche-qui-marche-à-tous-les-coups…
- Ok, dit le garçon. Mais je te suis en skate. Pas question que tu disparaisses avec mon vélo !

17. C'est justement à ce moment-là qu'une grosse voiture noire comme on en voit qu'au cinéma nous dépasse, moi et le garçon, en roulant doucement comme si elle venait de démarrer. Les vitres sont teintées, mais celle du passager avant est ouverte. J’aperçois et reconnais du coin de l’œil un des deux individus plus que louches qui ajuste des lunettes de soleil. On se croirait dans un blockbuster américain ! Et c'est comme ça que je commence ma première course poursuite ! Et un vélo contre un 4x4 dernière génération, on peut dire que je pars avec un sacré handicap ! Qu'à cela ne tienne, même si nous avons emménagé depuis peu, je connais déjà le quartier comme ma poche. J'ai eu le temps de l’arpenter pendant ses vacances puisqu'il n'y a rien de mieux à faire. Feux rouges, panneaux « Stop », sortie des mioches du centre aérée. Ma bonne étoile est au mieux de sa forme pour les ralentir ! Je regarde derrière moi, Yohann est loin derrière, je ne le vois déjà plus. Il verra bien que je suis digne de confiance quand je lui rendrai son vélo. Quelques rues plus loin et quelques coups de pédales plus tard, et la voiture s’arrête près d'une vieille usine désaffectée. Nous sommes en plein milieu de l'ancienne zone industrielle abandonnée. Une planque idéale en fait. Je descends du vélo emprunté et me cache à l'abri de gros buissons pour observer les deux hommes descendre de voiture et rentrer dans la vielle carcasse métallique qu'est cette usine.


18. Mon cœur bat la chamade, et je peine à reprendre mon souffle. Accroupie sur un lit de brindilles j’essaie de faire le point malgré les ronces et les branches qui se prennent dans mes cheveux et mes vêtements. Doucement j’écarte les feuilles et observe le terrain. L’usine se trouve au centre d’un terrain vague cerné de vieux grillages rouillés à moitié déglingués. Quelques buissons et arbustes plantés au pourtour de la zone laisse deviner les vestiges d’une haie qui devait entourée la propriété. Désormais, à part quelques végétaux survivants, c’est un terrain pelé duquel jaillissent par endroit quelques herbes folles jaunies par le soleil. Donc si je veux rejoindre ou partir de l’usine je vais devoir passer en terrain découvert près d’hommes qui n’ont pas hésité à en abattre un autre. A cette idée je me mets à trembler violemment. C’est trop pour moi, je suis épuisée. J’ai envie de rentrer chez moi, de boire un chocolat chaud et de faire comme si rien de tout cela n’avait eu lieu. Soudain la musique revient, plus forte que jamais.
« N’aie crainte, Adèle, il ne t’arrivera rien. Lève-toi et va ! »
Et comme dans un rêve je me sens me lever et marcher comme un automate vers l’ouverture béante de l’usine. J’entre dans l’obscurité de l’usine quand soudain on m’attrape et me lance derrière une caisse. « Que fais-tu là ? » bouillonne Mme Loiseau en se cachant avec moi.


 19. « J’ai… J’ai suivi la… »
Impossible de poursuivre, la Loiseau vient de me plaquer une main parfumée au produit vaisselle sur la bouche. Quand la pression de ses doigts rêches se relâche enfin, je chuchote :
« C’est qui ces types ? Qu’est-ce qu’ils fabriquent ? »
« Ils font de l’élevage » murmure-t-elle. « Derrière la cloison, là, à quelques mètres, il y a des berceaux, une cinquantaine. Et dans chaque berceau, un bébé. Un bébé extra-terrestre né d’une femelle qu’ils ont trouvée dans la forêt de Bois-Blanc»
Je glousse, c’est plus fort que moi. Madame Loiseau est guedin, bonne pour l’h.p, barge, perdue à l'est, ou à l’ouest, au choix. Elle reprend :
« Au sixième, ils observent les étoiles, ils guettent. Ils ont la trouille que papa Martien débarque avec du renfort pour récupérer la marmaille »
Je rentre dans le jeu, pas le choix.
« Hum-hum… Et qu’est-ce qu’il y a dans la valise à roulettes ? »
« Ils ne savent pas, ils cherchent » Je la dévisage, et je demande encore :
« Comment vous pouvez être au courant de tout ça ? »
« Je suis concierge, mon petit ! »


20. Houlà ! Miss Loiseau vient de m’annoncer ça sur un ton très : « Loiseau-007, agent très spécial ! »! Bon, ma petite Adèle, deux cas possibles : soit la Loiseau n’est pas dingue et je me retrouve seule avec elle dans une friche industrielle où ces types font de l’élevage d’extra-terrestres ; soit ma chère concierge est vraiment barge et je me retrouve en tète à tête avec elle ici avec pour seuls alliés possibles nos fameux squatteurs du 6ème (ce qui ne m’emballe guère !). Conclusion : quelle que soit l’option choisie, j’ai plutôt intérêt à ne surtout pas contredire ma drôle de Loiseau !
- Et qu’est ce que vous comptez faire maintenant, madame ?
Elle hésite un peu, sort un énorme appareil photo de son sac et le brandit sous mon nez en éructant :
- Il me faudrait des preuves, tu comprends ? Ma fille croit que je suis folle (tiens donc !) mais avec des photos, elle serait bien obligée de me croire ! Il faudrait que tu fasses diversion le temps que… Elle n’a même pas le temps de finir la phrase que la diversion souhaitée lui est offerte sur un plateau par Yohann ! Lui et son skate viennent d’atterrir contre le 4X4, déclenchant une alarme tonitruante ! Aussitôt les types sortent en trombe Mme Loiseau en profite et fonce sur son objectif. Quant à moi, ben… je reste pétrifiée. Quand soudain, la petite musique reprend : « N’aie crainte, Adèle, il ne t’arrivera rien. Avance ! Avance et va ! »…et je m’approche de la porte, malgré moi…



21. Cette porte, où Mme Loiseau a disparu quelques secondes auparavant, m'attire, m'intrigue mais aussi me pétrifie. La petite musique reprend "Adéle rentre, n'aie pas peur .. Viens nous voir " Malgré moi, j'avance, je pousse la lourde porte et entre dans la pièce. Madame Loiseau est là, devant moi, de dos, elle est penchée au dessus du premier berceau comme pour prendre une photo. Je m'approche d'elle en faisant abstraction de tout ce qui peut nous entourer. Je pose ma main sur son épaule, quand je sens la présence de quelqu'un derrière moi. Pétrifiée, je n'ose me retourner pour voir, et essaie d'en avertir Mme LOISEAU. Mais lorsque ma main se pose sur son épaule, je la sens froide, dure, elle me parait inerte. Je n'ose regarder ce qu'il y a dans le berceau qui se trouve devant elle, je fais demi tour pour sortir de cette pièce, quand j'entends des pas dans l'escalier. Les types du sixièmes, ce sont sûrement eux qui remontent... Que faire ?? trop tard pour quitter la pièce, et trop glauque pour que je  puisse m'y cacher... Je scrute minutieusement et rapidement la pièce, des berceaux, des berceaux et encore des berceaux... Les pas se se font de plus en plus sonores, mes yeux  se posent sur cette grosse valise à roulettes qui m'intrigue... Elle est assez grande pour me cacher dedans. Allez ni une, ni deux je tente ma chance ! J'ouvre rapidement la valise et commence à entrer dedans quand j'entends derrière moi des pas lourds se rapprocher et une voix rauque  :
- Et bien maintenant que tu sais, il va falloir rester !!!


22. Sans me retourner, j’ai l’impression de les voir, de les sentir. Une force étrange et nouvelle m’envahit. Dans ma tête j’entends à nouveau ces voix… Sauve-nous… Nous sommes comme toi.
Je vois dans la valise un appareil rectangulaire scintillant. Sans savoir pourquoi, je l’effleure. Un doux frisson parcourt tout mon être. Je me transforme. Ma peau se fonce, du rose pêche au violacé. Je ne suis plus moi, je suis comme ces êtres dans les berceaux. Dans mon esprit, des images se bousculent. Je me revois bébé. Mon voyage vers la planète Terre. Ma vie d’alien clandestin.
Dans un fracas qui fait sursauter les hommes en noir, mon père détruit la lourde porte métallique et entre, un onduleur à la main. Les hommes en noir sont instantanément pétrifiés, comme la mère Loiseau quelques instants plus tôt. L’onduleur n’agit que sur les humains.
- ça y est, Adèle, tu sais tout, dit mon père.
Oui je sais tout. Et pas besoin de parler. Je communique avec lui, avec les bébés et avec ma mère qui arrive, par télépathie. Et je comprends d’où nous sommes. Je comprends qui je suis. La fille d’un agent infiltré sur Terre dont la mission est d’observer ses habitants avant d’essayer de communiquer et de révéler notre existence. La fille d’un pionnier.
Et nous n’étions pas seul dans cette mission. Il y avait aussi… le voisin du dessus.

Un immense MERCI à tous ceux qui ont bien voulu jouer le jeu... le jeu du cadavre exquis !!!

jeudi 30 juin 2011

Découvrez... "La vieille" !!

Voici donc l'un des deux projets Mot @ Mots, intitulé : "La vieille"!

Ont participé à ce projet, par ordre d'apparition :

- Ingrid (auteure)
- Anne (auteure)
- Xavière (illustratrice)

- Catibou (auteure)
- Beatrix (auteure)
- Yoann (illustrateur)

- martine (auteure)
- La tricoteuse (auteure)
- Aurore (illustratrice)

- La baronnette (auteure)
- Régine (auteure)
- Lise (illustratrice)

- baptistine (auteure)
- Christine (auteure)
- Emilie Fiala (illustratrice)

- Isa (auteure)
- Sylvie Albou (auteure)
- Madame prope (illustratrice)

- Alexandra (aueure)
- Stéphanie (auteure)
- Kurios (illustrateur)

- Littleboxes (auteure)
- Lydia (auteure)
- barbara Rothen (illustratrice)

- Christelle (auteure)
- Sandrine (auteure)
- Emilie dedieu (illustratrice)

- Allana (auteure)
- Harue (auteure)
- Loren bes (illustrateur)

- Valérie (auteure)
- Lily Anne (auteure)
- harue (illustratrice)

- Couverture par Cocotte en papier

Vous êtes prêts ?? C'est parti !!


"Tous les dimanches, c'est la même histoire.
Zoé doit mettre sa robe à rubans, moi ce costume trop petit avec une cravate qui m'étouffe.
On doit surtout bien sourire, montrer ces fossettes qu'elle aime tant pincer, ne pas trop bouger et articuler docilement à la queue leu leu "oui stp, merci beaucoup mémé, non merci mémé".
Papa et maman hochent la tête mais n'haussent jamais le ton. Pas besoin, on doit être de parfaits petits anges devant mémé !
Zoé, elle en a une peur bleue.
Avec ses dents marrons, son chignon rouge et l'horrible sifflement qui sort de sa bouche, on a surtout pas envie de se retrouver seuls dans le noir avec elle ! (oui parce que je l'avoue, moi aussi j'avais la trouille...).
Et un dimanche pluvieux, voilà que maman nous annonce qu'on va passer la journée chez mémé... tous seuls ! Panique à bord ! Zoé retient ses larmes, je cherche mes armes.
Et si je prends mon globe terrestre pour l'assommer au cas où elle nous emprisonne ?
Ou alors je peux prendre une brosse à dents, prête à se jeter dans sa bouche moisie ?
C'est le cœur battant que je serre fort la main de Zoé au moment de toquer à la porte de mémé.

La chose faite, la porte reste close et coite. Je recommence. Plus fort. La vieille est sourde comme un pot. Zoé me regarde. Je la regarde. Que faire ? Et si elle n'était plus là ? Partie sans prévenir... ou pire... Je n'ai pas le temps d'achever ma pensée. Des bruits déferlent dans nos oreilles. Un bruit qui glisse, un bruit qui souffle, un bruit qui ferraille. La porte s'ouvre sur mémé. 
Zoé docile bégaye un « Bonjour mémé » pas convaincu. Moi j'embraye un « Salut » que j'espère plus vigoureux. Elle... rien. Elle fait la moue. Genre vachement contente de nous voir. Genre presqu'autant que nous de la voir. Ça nous fait au moins un point commun.
- Bon, ben, rentrez puisque vous êtes là !
Sa voix, rauque, nous tombe dessus comme un avertissement. Je tire ma sœur, qui n'a pas lâché ma main, à l'intérieur. La porte claque dans notre dos. Le son sec et lourd me fait frissonner. Plantée dans le hall, les mains sur ses hanches, la vieille nous examine. De la tête aux pieds.
- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de vous ?
On bronche pas. Accablés par sa présence détestable, par son aspect repoussant, par son ton cassant. Soudain, un drôle de sourire, une sorte de fente biscornue déchire son visage anguleux.
- Ah si ! J'ai une idée ! Allez suivez-moi !

Je n’ai pas encore parlé de sa canne en bois, courbée au niveau de la poignée et dont elle ne se sépare jamais. Je sens son anse froide et visqueuse comme un serpent passer autour de mon cou. Elle l’utilise surtout pour nous attraper ma sœur et moi et nous attirer à elle ! Dans le couloir froid et sombre, elle opère un demi-tour laborieux et nous voilà partis, elle toujours glissant, toujours soufflant, toujours ferraillant, vers la cuisine tout au fond. Que dis-je ? Une cuisine, ça ? Une antre plutôt, crasseuse, puante, mal éclairée. Sur l’évier une pile de vaisselle sale, sur la table, une montagne de légumes,  par terre une épaisse couche de saleté. Elle me tire à l’intérieur puis ôte enfin sa maudite canne de mon cou.
- Voilà de quoi vous occuper un moment : un lavage, deux épluchage, trois balayage.
Elle traverse la cuisine passe par la grande porte ouverte qui mène au salon, rejoint, toute couinante, son fauteuil, s’y laisse tomber, le sourire mauvais :
- Et pas d’ bruit, c’est l’heure d’mon feuill’ton ! J’vous surveille….
Le coup du ménage, elle l’avait jamais fait devant nos parents. Zoé ne peut plus retenir ses larmes qui coulent silencieusement sur ses joues. Je les essuie d’un revers de main et lui dépose un gros baiser sur la tête. J’ouvre le robinet et Zoé attrape le torchon, on attaque la vaisselle !

- Berk !dit Zoé en lorgnant un petit pois à l'air accablé flottant au milieu d'un amas graisseux. La bonde de l'évier émet un glouglou horrible quand je referme le robinet, interloqué. J'essaye en vain de ranger la pile de vaisselle propre pour l'installer sur une étagère mais, par mégarde, je renverse quelques flacons qui semblent bien étranges. Le plancher craque et les fenêtres grincent. On dirait  que toute la maison gémit. Nos cheveux se dressent sur la tête !
- « Fenouil puant », « Herbe à verrue », « Queues de lézards » dit Zoé en lisant les étiquettes à voix basse et elle poursuit « Poudre de larves » «  Pâte molle  » et ma sœur écarquille grand les yeux.
- Surtout n'y touche pas Zoé ! Je ne comprends pas pourquoi Maman veut que nous venions ici.
- Parce qu'elle est seule et qu'il n'y a plus d'enfant autour d'elle répond ma gentille petite sœur. Nos parents viennent de nous abandonner, Zoé et moi. Maman va profiter de sa journée avec Papa et nous...un horrible pressentiment me vient à l'esprit et si Mémé était une...Mais soudain un formidable bruit de locomotive venant de la pièce d'à côté nous fait sursauter tous les deux : c'est Mémé qui ronfle très fort et semble profondément endormie. Victoire ! Nous allons enfin être tranquilles et pouvoir explorer sa vieille maison comme nous avons si souvent projeté de le faire ! A ma grande surprise, je viens de découvrir un escalier en bois. Je suppose qu'il doit mener au grenier.



Je pose le pied sur la première marche et celle-ci se met à craquer horriblement. On dirait que la maison est vivante. Vite je tends l’oreille guettant un bruit, un mouvement du côté de grand-mère. Ouf ! Rien. Elle ne s’est pas réveillée. Je continue mon ascension suivie de près par Zoé. Inutile de vous dire que nous montons l’escalier sur la pointe des pieds. Evitant le plus possible de faire grincer les marches. Tout à coup, ma petite sœur pousse un petit cri et se retient au bas de ma veste. Elle vient de se prendre les pieds dans la queue de son lapin qui lui sert de doudou. Pfiouh ! Je la retiens juste à temps. Un peu plus et elle tombait à la renverse dans l’escalier. Ce qui aurait certainement réveillé grand-mère. Je n’ose même pas l’imaginer en colère. Ce doit être horrible…
Enfin, nous arrivons devant une vieille porte en bois toute sculptée de visages de vieilles femmes. Je pose la main sur la poignée…Zoé me dit – Non, n’ouvre pas ! j’ai trop peur ! – Trop tard, la porte couine et nous fait découvrir une pièce sombre seulement éclairée par  la lumière qui filtre entre les ardoises du toit. De vieilles bassines en cuivre servent à recueillir l’eau de pluie lorsque le temps est orageux. J’ose m’avancer dans la pièce et là j’aperçois de vieux masques grimaçants peints de couleurs sombres. Certains sont ornés de grandes plumes et d’autres de paille. Soudain, je sens que l’on tire sur ma manche. C’est Zoé qui me montre du doigt un vieux balai.

N'allez pas vous imaginez le genre de balais en plastique rose qu'on trouve au supermarché du coin. Non, celui-là est plutôt du genre de ceux qu'on trouve dans les contes de fées. Le manche est fait d'une vieille branche tortueuse surplombée d'une tête de vieille. Inutile de dire quoi que ce soit. Je vois bien au regard que me lance Zoé qu'elle pense à la même chose que moi. C'est le portrait tout craché de mémé.  Une force irrésistible attire mes mains vers le balai. « Non, crie Zoé ! » Trop tard, le balai est là entre mes mains. Mais en bas, l'escalier grince. « Mémé est réveillée, souffle Zoé qui tremble de tous ses membres, elle nous cherche !» Déjà la voix de mémé résonne dans l'escalier : « Zoé, Thomas, je sais que vous êtes là, mes chéris, montrez-vous donc ! » Nous nous réfugions derrière un épais rideau qui cache la fenêtre du grenier. La voix de mémé se rapproche : « Zoé, Thomas, voyons les enfants, ne faîtes-pas les sots, montrez-vous ! » La porte s'ouvre, mémé est en rage à présent : « Sortez immédiatement de là !» Sans réfléchir, Zoé ouvre la fenêtre et monte sur le toit. Je la suis. L'œil rivé sur mémé à la fenêtre, nous reculons.
- « Ne faîtes-pas ça, crie mémé, revenez immédiatement !
- Il faut rentrer, me dit Zoé, nous risquons de glisser ! »
A ce moment-là, je regarde mon balai, une confiance absolue m'envahit. Je sais qu'il peut voler.


Mon pied droit trébuche sur une ardoise branlante. Par réflexe, je serre le balai comme pour m’y accrocher. Zoé bredouille soudain : « Le ba…balai. » Elle montre du doigt l’objet. Je sais très bien que c’est un balai ! Mais elle insiste. Incroyable, Il est en lévitation à 30 centimètres au-dessus du toit, il n’est retenu par rien. Surpris, je le lâche. Immédiatement le balai retombe inanimé sur les ardoises et se met à rouler, rouler. Il termine sa course dans la gouttière. Soudain, Mémé remonte sa jupe jusqu’au-dessus des genoux et s’apprête à escalader la fenêtre. Elle essaye bien avec sa canne d’attraper un bout de la robe de Zoé mais sans succès. Elle râle, siffle, crache. Oh ! Qu’elle est laide ! Avant que Mémé ne passe la fenêtre, je décide de tenter le tout pour le tout. « Tu as confiance en moi Zoé ? » Ses joues sont rosies par le sel de ses larmes mais sans hésiter elle me dit que oui. Je lui prends la main, on s’accroupit et nous glissons sur les fesses jusqu’à la gouttière. J’attrape le vieux balai. Je me redresse doucement en évitant d’écouter la voix cruelle de Mémé qui crie à présent. J’ai les genoux qui jouent des castagnettes ! Je glisse le manche entre les jambes de Zoé et les miennes. Je sens le balai trembler, sursauter, se soulever. Zoé à ses bras serrés autour de ma taille. Je ferme les yeux et pense très fort : « Allez vole ! Par pitié : vole ! ». Et tout à coup Pfffffft ! C’est incroyable, extraordinaire. Personne ne me croira à l’école ! Je vole ! Nous volons !

Mémé est furax !
« Venez ici petits chenapans ! Revenez vite ou vous allez le regretter longtemps ! » Ploc ! Ploc ! Ploc ! Des gouttes de pluie tambourinent sur le toit de la maison. Une averse subite  s’abat sur la ville et le chignon de mémé. Je lui réponds « Un : lavage, deux : séchage, trois : chauffage. » Malgré notre peur, nous rions aux larmes, à cause de la tête de mémé qui est à mourir de rire avec sa canne brandie en l’air et ses cheveux rouges, aplatis sur son visage ruisselant.
Juste le temps de tourner la tête ! Nous fonçons droit vers le sol ! Je redresse le balai in extremis grâce à la tête de vieille. Zoé s’accroche à ma taille comme une sangsue. Nous avons échappé de justesse au crash. Tout à coup, le balai vire à gauche. J’ai beau essayé de le guider  vers la droite mais il ne m’obéit plus. Il continue tout droit en direction de la porte d’entrée où se trouve Mémé, les bras sur les hanches. Un coup de frein brutal et nous voilà avec Zoé projetés dans une énorme flaque d’eau aux pieds de mémé qui rit aux éclats. Elle a rajeuni de dix ans. Zoé et moi nous regardons surpris. C’est bien la première fois que nous voyons mémé rire ainsi. «  Que la fête commence… Suivez-moi ! Je vais vous apprendre à préparer une sacrément bonne potion magique à base de poudre de larves. » Zoé et moi, on est trempé de la tête aux pieds. Finalement ce dimanche pluvieux chez mémé s’annonce GÉ-NI-AL !!!


Peut-être que mémé est une sorcière, une vraie. Mais elle est aussi la plus rigolote de toutes ! Ce n’est pas un nez crochu, quelques verrues et un vieux balai poussiéreux qui va nous faire peur !
La voilà, qui s’en va vers la cuisine. Elle remue son gros popotin en chantonnant une drôle de chanson :
« Dans mon chaudron fumant,
Il y a de quoi faire des gourmands !
Petits asticots et bave d’escargot ?
Sans oublier quelques gros mots.
Goûter une bonne potion magique,
Il n’y a rien de plus fantastique !
Et quand la lune sera rousse,
Je serai encore belle et douce ! »
D’un hochement de tête, je rassure Zoé qui fronce les sourcils. Toutes les sorcières chantent des chansons qui n’ont ni queue ni tête ! … Non ? Dans la cuisine, mémé touille sa tambouille qui fume et parfume chaque chose environnante d’une odeur…nauséabonde. Zoé laisse échapper un « beurk » et se bouche le nez. Pour ne pas faire de peine à mémé, je reste là, à sourire bêtement, tout en coupant ma respiration.
« Approchez mes chers petits… » dit mémé d’une voix mielleuse.
Zoé claque des dents. Quelque chose me turlupine.
Nous nous penchons au dessus du chaudron sur la pointe des pieds. Quand derrière nous, mémé continue de chanter :
« Dans mon chaudron fumant…
… il me manque juste un bel enfant ! »
NON !

En entendant le « NON » terrifiant de ma sœur, je me dis qu’il faut que je trouve très vite une solution pour que nous ne finissions pas dans le chaudron. Une idée me vient soudainement.
- Mémé, tu veux dire qu’il te manque des cheveux d’enfants. Zoé a de beaux cheveux blonds, ta potion sera grandiose !
- Comme tu es marrant ! J’ai parlé d’un bel enfant et non des cheveux d’enfants, gronde-t-elle.
- Oh, mémé, tu as vu les jolis ongles de Zoé. Ils seraient parfaits, non ?
- Arrête tes sornettes, tu me fais perdre mon temps ! dit-elle, rageusement. Pour te prouver, petit insolent, qu’il me faut bien un bel enfant, je vais te montrer mon grimoire.
Lorsqu’elle me tourne le dos, j’en profite pour prendre quelques fioles et je les verse dans sa potion.
D’énormes bulles se créent alors dans la marmite. Une odeur nauséabonde s’en échappe.
- Mémé, mémé, viens vite ! Je crois que la marmite va exploser.
A mon appel, elle accourt, prend une grande cuillère et essaie de mélanger sa potion. Au lieu de ralentir la création des bulles, celles-ci deviennent de plus en plus grosses. Elles s’accolent et deviennent une seule bulle qui entoure le visage de mémé.
La voir ainsi, tel un cosmonaute gesticulant dans tous les sens, comme c’est drôle !


Bloup, bloup ! Dans le chaudron, les bulles continuent leur prolifération.
La vieille est tellement occupée à gesticuler pour se libérer de son drôle de casque qu’elle ne voit pas qu’une gigantesque bulle sort du récipient. L’énorme bulle lui lèche les doigts de pied et, gloups, voilà qu’elle l’englobe en entier ! La vieille est prisonnière !
« Hourra ! » crie Zoé qui semble ravie de voir notre grand-mère s’envoler dans les airs.
La bulle tournoie et la vieille se retrouve la tête en bas, nous révélant ses chaussettes à rayures et sa culotte à pois ! Zoé rit aux éclats !
Mais nous n’avons pas le temps de nous attarder devant le spectacle que nous offre Mémé. J’attrape Zoé par le bras. Il faut profiter de la situation pour quitter cette maison.
Nous nous précipitons vers la porte d’entrée mais, cette dernière est fermée à clé. Nous essayons les fenêtres du salon, de la chambre à coucher… Toutes les issues sont verrouillées.
Soudain, dans la cuisine, on entend un grand « Plop » suivi d’un grand « Boum » ! La bulle a éclaté et la vieille s’est écrasée sur le sol carrelé. Aïe, aïe, aïe ! Ça va chauffer ! Comment lui échapper ?
Nous décidons de retourner au grenier. Alors que nous nous apprêtons à monter, une petite trappe se soulève sous l’escalier et nous entendons : « Psitt ! Par ici ! Vite ! »

J’hésite un instant. Que faire ? Retourner affronter Mémé la sorcière ? Hors de question ! Ou alors suivre cette petite voix inconnue ? J’hésite et, du coup, c’est Zoé qui choisit pour moi en m’attrapant par la main et en m’entraînant à sa suite. Ma petite sœur se glisse rapidement dans l’ouverture sous l’escalier. J’ai un peu plus de mal à la suivre. C’est que je suis plus grand, et qu’elle est étroite, cette trappe. Et sombre. Je ne vois plus Zoé...
Je murmure « Attends-moi. C’est peut-être dangereux. », avant de sursauter violemment. Quelque chose m’a effleuré l’épaule. Pire ! Je sens un souffle sur ma joue qui fait courir un frisson tout le long de ma colonne vertébrale. Mais impossible de m’enfuir. L’espace est trop étroit pour que je puisse espérer faire demi-tour et, de toute façon, je n’abandonnerai jamais Zoé.
Je tends une main hésitante devant moi. Rien. Mes deux mains brassent désormais l’air comme un nageur fou. Toujours rien. Il n’y a absolument rien ni personne autour de moi, à part les parois de ce fichu tunnel qui m’enserrent. Il faut que je me calme. Pour moi. Pour Zoé. Et que j’avance.
Le trajet me paraît interminable. J’appelle plusieurs fois  ma sœur, sans jamais obtenir de réponse. Finalement, j’aperçois une faible lueur. Une petite voix moqueuse lance alors : « Hé bien, gros malin, tu as en a mis du temps !! »

Je n’en crois pas mes yeux ! Ma cousine Lola se tient là, devant moi. Je ne l’avais pas revue depuis des mois. J’avais demandé de ses nouvelles à mes parents mais ils semblaient éluder la question.
Je comprends maintenant pourquoi ! Je ne peux pas concevoir qu’ils soient de mèche avec Mémé la sorcière ! Pourtant, aucun doute, c’est bien ma cousine que j’ai sous les yeux. Elle a changé, pourtant. Physiquement, d’abord. Ses cheveux courts ont laissé place à une crinière jaune sale, où nœuds et morceaux de saleté en tout genre se côtoient. Elle qui était si soignée…
Mentalement, c’est aussi une autre personne. Un genre d’Amazone livrée à elle-même a remplacé la timide Lola que j’ai toujours connue, une fille bien élevée aux mœurs évoluées et langage soutenu.
Quelle surprise de l’entendre m’appeler « gros malin ». Je n’ose pas imaginer depuis combien de temps elle est retenue en captivité et je réalise soudain la précarité de ma situation et que je ne sais pas où est Zoé. La panique me prend. Pris de vertiges, Lola m’invite à m’asseoir dans sa « cabane » comme elle dit, qui ressemble plus à un dépotoir miniature qu’à la demeure cosy qu’elle avait l’habitude de fréquenter.
Calmé temporairement, j’en profite pour lui poser toutes les questions que mon esprit fatigué veut bien me transmettre.


Lola a l’air ravie de ne plus être seule, elle me parle de mémé, chez qui ses parents l’avaient laissée il y a 3 mois. Elle a découvert le secret de la vieille depuis longtemps et a évité la marmite de justesse. La vieille l’a cherchée pendant des semaines et des semaines, avec des hurlements à terroriser n’importe quel animal, mais Lola a tenu bon.
La nuit elle ressort de sa cachette récupérer de l’eau et des miettes de pain dans la cuisine de la vieille, mais mémé n’a jamais rien remarqué. Lola me raconte toutes sortes de choses qui se passent chez mémé, des histoires plus abracadabrantes les unes que les autres. Je commence à me détendre mais tout à coup je repense à Zoé et me met à paniquer. Je manque de hurler quand Lola me met la main sur la bouche : « Chut tu vas la réveiller ». Zoé a en fait perdu connaissance et Lola l’a couchée dans un recoin sombre sous un vieux morceau de couverture qui lui sert apparemment de lit. Je suis soulagé et commence à me sentir bien, même dans cette crasse et dans cette petite cachette confinée. Lola me raconte que Mémé a des amies (qui l’eut cru) sorcières comme elle et que l’une d’entre elles se fait appeler La Chasseuse. Cette sorcière a une voix d’outre-tombe et semble être respectée par les autres, même Mémé en a peur ! Elle leur lance des défis et leur demande souvent si la chasse est bonne. Mais Mémé n’est pas très douée pour la chasse et La Chasseuse le lui fait payer, à sa façon.


J’ai l’impression de cauchemarder. Bien sûr, je me suis toujours méfié de Mémé, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse appartenir à un gang de sorcières à la tête duquel se trouve une impitoyable chasseuse, lançant des défis maléfiques. Tout cela me semble tellement irréel. Mais face aux événements qui se sont déroulés depuis notre arrivée dans ce taudis, je n’ai d’autre choix que de croire ma cousine Lola. Nous sommes prisonniers, condamnés à vivre comme des rats ou à finir dans un chaudron. Une troisième solution me semble bien loin tout à coup.
Des centaines de questions se bousculent dans ma tête, mais ma bouche refuse de les laisser sortir. J’arrive néanmoins à prononcer « Tu penses qu’elle nous ferait vraiment du mal. C’est quand même notre grand-mère ? ». Mes larmes sont prêtes à couler, mais je ne laisse rien paraître. Je suis le seul garçon et donc logiquement le plus courageux. Si seulement elles savaient…Pour la première fois depuis des mois, je me ronge les ongles.
« J’ai tout essayé » me dit Lola. Elle ferme portes et fenêtres dès le soleil couché. Elle a des yeux de lynx et un odorat de chien. Rien ne lui échappe. Parfois, je sais qu’elle fait semblant de dormir et qu’elle guette. Mais j’ai appris à être maline. J’ai même appris certaines de ses formules magiques.
Soudainement, il me vient une idée de génie. « Je sais… » leur dis-je, triomphant. « le grimoire ! ».

- Le grimoire ?
- Ben, oui, quoi LE grimoire ! C’est notre unique planche de salut. Il nous faut le récupérer, et vite fait bien fait pour nous sortir de ce sinistre et malfaisant bourbier. Alors, où le cache-t-elle, ce satané bouquin ?
- Dans sa chambre, sous son matelas...
- Tu parles d’une cachette ! Le matelas du lit de la sorcière, dans sa chambre nauséabonde... fermée à quintuple tour... Et la vieille qui garde les clés de la porte de sa chambre autour de son cou. Rien que ça ! Nous voilà bien avancés ! Bon, restons calmes. Quelles formules magiques connais-tu ?
- Je... je... ne me presse pas, il faut que je réfléchisse !
- C’est qu’on n’a pas beaucoup de temps ! Il va falloir être malins et efficaces ! Grouille-toi Lola !
- Alors... euh, invisibilité temporaire, zut, non trop court, ça n’ira pas ! Lecture des pensées... aucun intérêt... réparer des objets cassés... non plus ! Si seulement, j’avais appris celle pour débloquer les portes et les fenêtres....
- Oui, bon, ce n’est pas le moment de se lamenter sur ce que tu ne sais pas, cousine ! Rassemble tes esprits, qu’on ne finisse pas tous en fricassée au fenouil puant !


- Mise en pli instantanée,  non…  bouton rapetisseur, oui, celle-là, pourrait nous servir.
- Génial ! mais, c’est quoi au juste ?
- Celui qui prononce cette formule a un bouton rapetisseur qui pousse au milieu du front. Il suffit d’appuyer dessus pour rapetisser.
- Alors vas-y ! je t’écoute.
- Attends, deux secondes, laisse-moi réfléchir… Rapeti,Rapeton, Petit,Petit,Mini  tout riquiqui,  Rapetisse et rétrécis...
Et ploc ! Un énorme bouton rouge surgit au milieu du front de Lola.
- Wouah ! Fantastique ! Il ne te reste plus qu’à l’essayer.
La main tremblante, Lola appuie doucement sur son horrible bouton. Et ffffft…. en une demie seconde, elle ne mesure pas plus de 10 cm. Elle appuie de nouveau et fffffft, la voici de nouveau assise à côté de moi.
- A ton tour maintenant ! dit Lola. Je n’irai pas toute seule.
-  Rapeti,Rapeton, Petit,Petit,Mini  tout riquiqui,  Rapetisse et rétrécis...
Et Ploc ! me voilà avec le même horrible bouton en plein milieu du front.

- Incroyable ! J'espère qu'il fonctionne bien aussi ?
- N'aie crainte, répond Lola, ça marche à tous les coups !
Alors j'appuie sur le bouton magique et ffffft … je vois la « cabane » s'agrandir, s'élargir … Lola devient une vraie géante ! J'appuie une seconde fois sur le bouton est ffffft … tout redevient normal.
- C'est génial ! Nous pouvons devenir aussi petits que des souris, surveiller Mémé discrètement, nous glisser sous ses portes ! Parfait pour sortir d'ici, elle ne nous verra pas !
J'actionne à nouveau le bouton ...ffffft …
- Allez, Lola, viens avec moi !
Ffffft … Et voici Lola miniaturisée comme moi! Nous nous regardons et nous commençons à pouffer de rire … hi, hi, hi, c'est trop drôl e!
Soudain, nous entendons un gémissement, des mouvements feutrés puis une petite voix qui appelle :
- Thomas, Thomas, où es-tu ? Thomas ? Thomas?
- Oh, c'est Zoé, elle vient de se réveiller ! s'exclame Lola. Il faut l'emmener avec nous !
- Zoé ! je m'écrie, je suis là, ne t'inquiète pas!
Zoé nous cherche des yeux un moment. Enfin, elle nous aperçoit et, effrayée, elle se met à pleurer.


- Ah non ! C’est toujours moi qui m’évanouis, qui ai peur et qui pleure ! Thomas, trouve autre chose, d’accord ? Pourquoi pas : « Elle nous aperçoit et, effrayée, elle pousse un drôle de cri : « Aaaaaah hiii oooh !! » rectifie Zoé, se blottissant de nouveau contre moi, dans le poussiéreux grenier.
- D’accord Zoé, si tu veux. Allez, je reprends notre petite histoire qui fait peur ! Donc, tu cries et Lola te dit :
- « Chuuut ! Zoé, ne fais pas tant de bruit. Maintenant, c’est à ton tour de rapetisser : Rapeti, Rapeton, Petit, Petit, Mini  tout riquiqui,  Rapetisse et rétrécis...
- Mais quel affreux bouton sur mon joli front !
- Vite réfléchissons, la nuit va bientôt tomber, nous devons nous échapper !
- Quand nous étions dans sa cuisine, au bas de la porte fenêtre, j’ai vu un endroit tout abîmé, d’où rentraient et sortaient de grosses blattes jaunâtres. On pourrait s’y faufiler et à nous la liberté !! je dis, triomphant.
Alors qu’on s’apprête à passer discrètement par les fentes du plancher, on entend un bourdonnement terrifiant ! La maison de la vieille se met à vibrer, le bourdonnement se rapproche et se fait encore plus terrible. Puis, soudain, le silence. Un silence à nous glacer le sang. Comme des statues, on ne bouge plus. Lola a du mal à articuler : «  Ce sont les… les autres… sorcières !!!! » On se serre tous les trois, et on observe, car de là où nous sommes cachés, nous pouvons voir… La première à rentrer est si affreuse, que notre sorcière de grand-mère paraît juste moche à côté !

Ses cheveux ne sont que des brins de paille épars sur sa tête toute cabossée, ses yeux sont aussi ronds et petits que des billes et sa bouche… une grande bouche déformée d'où dépassent des dents jaunes et cassées.
Je sens la main de Zoé se crisper sur la mienne ou c’est la mienne qui se resserre, je ne sais pas. J’ai tellement peur. Mes yeux ne peuvent se détacher de l’horrible sorcière. Un épouvantail, voilà ce qui me traverse l’esprit. Elle s’approche de notre grand-mère d’un pas chancelant, son balais difforme à la main. On dirait qu’on lui a raboté une jambe. Elle est suivie de près par une autre, avec la tête basse, difficile de voir à quoi elle ressemble. Zoé tremble contre moi, elle murmure à répétition le chiffre trois. Lola de l’autre côté semble attendre quelqu- chose. Son regard fixe la scène devant nous.
« Lola, Lola, qui sont-elles ? » je chuchote.
Elle ne répond pas, fixant toujours droit devant elle.
« Tho…mas… partons » pleure à moitié Zoé.
Les trois sorcières se retournent d’un coup vers l’entrée. Un spasme secoue le corps rapetissé de Lola.
« C’est elle… nous sommes fichus… »


«  Elle, qui ça, elle? »  je demande.
«  La Chasseuse! La terrible Chasseuse! » répond Lola dans un murmure terrorisé.
Le ton de sa voix est sans équivoque. La cousine ne fait pas semblant avoir peur. Zoé panique:
«  Mais co...co...comment on va faire pour lui échapper? »
Je n'en mène pas large mais en temps que garçon, j'essaie de me montrer rassurant:
« Faisons-nous tout petits. Chut ! La Chasseuse ne doit nous remarquer.. »
Des grincements épouvantables se font entendre. Les enfants croient leur dernière heure venue.
« Elle va nous croquer ! » dit Zoé.
« Elle va nous jeter un sort ! » renchérit Lola.
« Nooo n! Je crois qu'elle va nous tuer ! »  je conclue en perdant tout sang-froid.
Tout à coup, alors que les trois chérubins transpirent de peur en essayant de ne pas se faire remarquer, une voix d'outre-tombe résonne dans toute la maison:
«  BANDE DE PETITS MINUS !!!!! Je sais que vous êtes là ! Mais je n'ai que faire de trois enfants maigrichons. Je suis venue m'occuper de votre grand-mère. C'est la sorcière la plus nulle qu'il m'ait été donné de rencontrer ! »

La Chasseuse et sa bande s’arrêtent net au milieu de la pièce et crient d’une même voix :
« Emeraldine, montre-toi ! ».
Un silence pesant s’ensuit. On entendrait presque nos dents claquer si nous n'étions pas toujours aussi petits au raz du sol, cachés entre deux lames du plancher. Ne voyant rien venir la chef des sorcières s’époumone de nouveau : « E.M.E.R.A.L.D.I.N.EEEEEEEE ».
Les murs et le plancher tremblent et, semblant arriver de nulle part, mémé apparaît. Dans un grognement et bavant, tellement elle est en furie, la Chasseuse vocifère : « Je suis mécontente de ton travail, voilà trois mois que tu dois nous apporter le suprême d’enfant, plat d’honneur de mon anniversaire et à ce jour pas la moindre odeur de fumet d’enfant autour de ta maison ! »  Mémé bredouille des excuses, tremble comme une feuille, se met à pleurer : « Je cours partout après la petite Lola qui s’est cachée dans ma maison et comme je voulais pouvoir vous offrir malgré tout le fameux plat, j’ai fait venir ses deux cousins, mais ils ont aussi disparu. »« Pas d’excuse, vocifère la méchante, nous allons t’enlever tes attributs et tu redeviendras simple mortelle. »
Malgré la peur, nous nous regardons : Mémé est une sorcière évidemment, mais avant tout c’est notre mémé et une mémé aussi vieille et laide qu’elle soit, on n’en a pas beaucoup dans sa vie.  Lola chuchote « le grimoire ».
En un instant nous filons dans la chambre de mémé, appuiyons chacun sur le bouton du front de l’autre pour reprendre notre taille normale et Lola cherche la formule qui fait disparaître toutes les sorcières. Juste une lecture et nous apparaissons face aux sorcières en criant d’une seule voix « creatum excelum sera ».
Dans un tourbillon de poussières, les sorcières, y compris mémé se retrouvent au plafond et retombent comme des crêpes. Le sourire qu’elles nous adressent alors, tout en douceur leur font comprendre que nous avons réussi !
Au même moment, Zoé aperçoit dans l’encadrement de la porte maman qui ne semble pas surprise de voir parmi le désordre de la pièce quatre vieilles amies charmantes de la mémé. « C’est l’heure les enfants nous rentrons ».
Mémé nous regarde avec malice «  Ma chérie, laisse moi donc les enfants pour diner, j’ai préparé un suprême délicieux »